Le blog de micronouvelles de Laurent Platero

Le visage de la jouissance est une pudeur soudaine

Le visage de la jouissance est une pudeur soudaine. On a affronté la recherche, les bars, les boîtes de nuit. On a osé les premiers regards, les premiers mots. On a proposé un verre, un dîner, un ciné. On a essayé la drague et le charme. On a testé ses propres envies et questionné les désirs de l’autre. On s’est éclairci la voix avant de suggérer un dernier verre à domicile. On a tremblé en remplissant les coupes, mais on a réussi quand même. On a songé à cette séparation qui n’arrive pas et à cette soirée que personne ne semble vouloir terminer. On a ouvert une deuxième bouteille en évoquant le bonheur de l’instant. On a fait semblant de ne pas penser au sexe.

On a joué comme des ados pour trouver un prétexte de se toucher. On a légèrement rougi lors de cette seconde de blanc où un ange passait entre nos visages si proches, mais on s’est embrassés quand même. On a frissonné en enlevant nos vêtements. On a cherché la tendresse. On a fait des gestes légers pour être les plus doux possible. On a inspecté à tâtons, découvert avec merveille et gourmandise. On a assumé nos failles, encouragé les actions timides de l’autre. On a avancé, poussé, retourné. On a chevauché, peloté, titillé. Des tensions ont fondu de plaisir. On a accéléré la cadence. On a trouvé dingue d’être dans l’intimité de l’autre.

Là, d’un coup, les muscles se contractent, les corps manquent de vaciller sous une pression extrême. C’est la jouissance. L’extase, le summum. En une fraction de seconde, la pudeur jusqu’alors mise de côté revient de plein fouet. On a su franchir toutes les étapes, parfois difficiles, mais notre courage a volé en même temps que l’éclat de nos êtres luxurieux. On s’observe. Le dernier râle de plaisir n’est pas fini qu’on a un peu honte de s’être dévoilés de la sorte. On se sent à découvert, alors que nous sommes nus et enchâssés depuis plusieurs dizaines de minutes.

Nos yeux brillent encore d’extase que, déjà, une lueur de gène vient nous envahir. On a joué et on s’est bien comportés pendant toute la soirée, mais cet instant de jouissance où on a piaillé toutes vannes ouvertes nous a ramenés à notre état originel.

Alors, la pudeur pourpre sur les pommettes, il va falloir se séparer, s’individualiser discrètement. Et puis, on reprendra notre attitude de gens modernes, comme si ce laisser-aller animal s’évaporait aussi vite qu’il naissait dans nos esprits. On lancera le retour à la conformité, d’une voix timide mais maîtrisée, en s’adressant à l’autre. « Ça va ? »