Le blog de micronouvelles de Laurent Platero

Le joli vacarme

Par le passé, il y eut ces voisins bruyants, absents, des gens croisés qui disaient à peine bonjour, dotés parfois d’un esprit de rejet des uns envers les autres. Un mauvais immeuble. Puis le déménagement, et ce nouvel appartement, avec ces voisins qui vivent en même temps que moi. Je ne croise jamais personne : la cage d’escalier est un périmètre vide, un no man’s land que je franchis chaque jour en pensant à eux. Ils sont là, peut-être chez eux, déjà partis ou pas encore rentrés. Chacun vit, s’adapte aux horaires imposés par son quotidien. Cinq étages et sept appartements, peut-être huit. La rambarde tremble quand on grimpe les marches, les poignées de portes couinent, les planchers craquent. Il n’y a jamais eu de rencontre, aucune présentation de ma part, ni des autres. Je suis le nouveau, le trentenaire célibataire qui a emménagé dans la même bâtisse. « Jamais vu », doivent-ils se dire, si tant est qu’ils communiquent entre eux. Je ne les connais ni de nom, ni de visage, mais je cohabite avec eux. Lorsque je me couche le soir, dans la chambre qui donne sur la cage d’escalier, je m’endors avec eux. C’est le moment où nous communions. Sur tous les jours de l’année, l’être humain doit choisir de nombreux soirs où il décide de ne pas sortir, de ne rien faire de spécial. On choisit souvent les mêmes, mes voisins et moi. J’éteins la lumière, seul dans ce lit deux places. Pourtant, nous sommes une petite dizaine, peut-être davantage, à dormir ensemble. J’entends l’eau couler, les chaudières s’enclencher, les derniers pas maltraiter le vieux plancher. Je vis sans elle depuis si peu de temps, j’avais peur de ne pas en être capable. J’ai délaissé un grand lieu de vie avec chambre d’amis au profit d’une garçonnière et de retrouvailles avec mon moi intérieur. Saurais-je continuer la route seul ? Vais-je réussir à dormir sereinement sans une main posée sur mon ventre ? J’ai pu en douter les premiers jours, les premières heures. Maintenant, je le sais : mes voisins sont là. Leurs bruits dansent dans ce doux remous du quotidien qui arrive à mes oreilles. Quand mes yeux se ferment, le soir, et que mon esprit commence à laisser les rêves l’envahir, il y a la petite infirmière du second, le retraité du quatrième, et le commercial du cinquième. Ils s’apaisent en même temps que moi. Demain, les vibrations de son portable sur sa table de nuit me réveilleront à sept heures, et cela recommencera toutes les neufs minutes, car elle ne se lève jamais dès la première sonnerie. La descente des escaliers trois marches à la fois me rappellera qu’il doit déjà être huit heures, et qu’une fois de plus, il est en retard. La minuterie s’éteindra ensuite dans le couloir, et je refermerai mes yeux. Dans le silence de temps en temps chahuté de notre immeuble, mes voisins m’ont rendu serein. Le rejet des ces êtres au passé est devenu un besoin, celui de sentir que sans elle, la vie peut continuer à avoir un joli vacarme.