« Non, pas Zazie dans le métro ! » j’ai crié, pour qu’elle repose son arme. Un peu paniqué à l’idée qu’elle plie les pages de mon livre, j’ai mis les mains en avant, comme le flic d’une série américaine demande au braqueur de bijouterie en face de lui de se rendre sans faire de bêtise. « Ce n’est pas de sa faute, il a simplement besoin de tendresse », ai-je tenté. Elle se tenait debout, près du lit, en petite culotte. Elle était craquante. Je comprenais cette envie de pincer qu’il avait pu ressentir. À la place du minus, je plaiderais la force d’attraction animale provoquée par sa silhouette. « Je vais le buter ! » elle a fait, en colère, une main se grattant tout à coup les fesses et donnant quelques ondes d’érotisme supplémentaires à cette scène qui en était déjà fort pourvue.
Je prenais des risques, ainsi placé entre une victime qui voulait maintenant tuer, et un agresseur qui se faisait tout petit dans un coin de la chambre. « C’est un être en mal d’amour. Comment veux-tu qu’il ne soit pas attiré alors que tu es si désirable ? » J’essayais de dédramatiser la situation, mais ça ne faisait que l’énerver encore plus. « On ne se colle pas au cul des gens quand ils dorment ! » a-t-elle rugi. Je n’ai pas osé lui demander si cela se faisait quand ils ne dormaient pas, de peur qu’elle me rue de coups de Queneau. « Il est trois heures du matin et j’ai envie de dormir », elle a continué. Au-dessus, j’entendais des mouvements, comme si sa rage et notre désaccord commençaient à réveiller les voisins.
Il fallait que cela cesse. Je ne sais pas pourquoi je tenais tant à défendre ce moustique. Peut-être que sa petite taille me donnait envie de lui laisser une seconde chance. Peut-être que, sans en être pleinement conscient, j’avais un rôle à jouer dans la préservation des insectes. « Tu sais, ma chérie, il ne faut pas croire qu’un animal qui pique soit un mauvais élément. C’est un écorché vif sans défense qui voulait seulement nourrir sa famille. » Là, il s’est posé sur mon nez. Comme ça, en pleine plaidoirie. J’ai à peine eu le temps de remarquer le regard de ma douce prendre un air conquérant, de loucher mes yeux sur le moustique, qu’elle m’a lancé comme un coup de poing le roman en pleine face. Le moustique et mon visage ont éclaté en même temps. Je me suis effondré, assommé. Raymond Queneau et Zazie dans le museau.