La traversée de l’appartement se passe bien. Je le descelle sur l’écran vaporeux de mon esprit. Ne m’en demandez pas davantage. Dans cet état, il m’est impossible d’envisager une réflexion perspicace. Je peine à distinguer les contours de mon champ de vision. Il représente une sorte de croquis de mes repères personnels. Ici, une porte coulissante. Là, une bibliothèque. Le tout en couleurs, signe que le jour est levé. En dehors de ces savoirs arrachés à mes yeux cryptés, rien ne se présente.
Seul objectif en cet instant : ne pas me cogner dans les meubles. Un petit orteil fracassé au pied d’un placard, c’est douloureux. J’appose mes mains sur les murs du couloir. À tâtons, un pied devant l’autre, je finirai bien par arriver à destination. Dans ce logement tout en longueur, la chambre et la cuisine sont séparés d’environ vingt mètres. Je suis à mi-parcours. Pas de casse pour le moment. J’ai laissé mon sommeil dans le lit, mais son baiser m’embaume encore. Je me concentre.
La démarche imprécise, les nerfs contractés par le réveil, je ressemble probablement à un zombie en manque de chair humaine. Suis-je happé par l’odeur d’une récompense ? Impossibilité cérébrale d’y répondre dans mon état actuel. Je vous rassure, je reste humain. Cette histoire est celle de tout-un-chacun. Mon habitude préférée n’a rien d’original. Je songe au breuvage chaud, à la cascade amère se déversant dans ma trachée, à la brûlure quotidienne et si satisfaisante de mon œsophage.
Combien de cafés ai-je bu en trente-six ans ? Environ vingt ans de consommation avec une moyenne de cinq tasses quotidiennes, cela fait trente-six mille cinq cents. Si ma santé ne déclinait pas, j’assortirais ma routine d’une cigarette. Offrez-moi un corps en titane et je passerais mon temps à boire des cafés et à fumer. Se ruiner la santé est un désir simple et accessible. J’attaque le dernier mètre. Les nuages se dissipent et je discerne un percolateur. Mon sésame.
La main tremblante, je presse le bouton de la machine pour lancer le préchauffage. Une chose est sûre : elle sera prête plus vite que moi. Effort complexe, je lève le bras pour ouvrir le placard et saisir la boîte d’Arabica moulu. Je ne le sais pas encore, mais la déprime me guette. Tous les voyants sont au vert. Je dépose une tasse en céramique sous le porte-filtre. J’enclenche. Le bruit de la pompe est violent. Il coupe. Le zombie met un peu de temps avant de comprendre. Coupure d’électricité dans tout l’immeuble.
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